samedi 19 janvier 2008

communiqué de presse



L’exposition Grandes Surfaces s’articule autour de la collection inédite d’œuvres imprimées par l’Ecole Régionale des Beaux-Arts de Rouen depuis 1995. Autour de cette collection d’une vingtaine d’estampes géantes originales d’artistes aussi divers que Peter Soriano ou Marc Brusse se réunissent des estampes qui par leurs formats exceptionnels démontrent l’ambition des artistes à s’approprier les techniques de l’estampe et de les faire leurs.
Ainsi Richard Serra réussit à réaliser une incroyable sculpture imprimée en réalisant une lithographie rehaussée de cire en couches si épaisses que l’épreuve devient un volume réalisé comme une concrétion. Pour chaque épreuve, ce geste étonnant est à la fois unique et renouvelé. Il se joue de la légèreté et de la multiplicité généralement dévolues aux définitions d’une estampe. James Turrell réussit lui à traduire dans les deux dimensions de la feuille les espaces irradiants réalisés dans ses installations par des projections lumineuses. En allant chercher dans la matière du noir, par l’usure de celui-ci la blancheur du métal il trouble la perception que l’on peut avoir de son travail. Il invente un piège pour ses lumières, celui de la manière noire, technique de gravure inventée pour la traduction de la peinture.
Ce rapprochement entre peinture et gravure est parfois si serré que les artistes eux-mêmes ne veulent plus nommer leur travail dans un domaine ou dans un autre. Agathe May par exemple, semble balancer entre les deux terminaisons et il est vrai que l’approche de la couleur posée sur ses gravures sur bois nous entraîne irrémédiablement vers la peinture de genre, accentuée par l’univers personnel qu’elle décrit. Les qualités de transparence de ses tons contrastent parfois violemment avec les tirages qu’elle effectue des mêmes planches en noir et blanc. Le trait étrangement se dévoile alors comme clairement celui de la gravure. Le format est alors sciemment celui de la peinture. Dans d’autres épreuves, la couleur se répand et glisse libre sur toute la surface en laissant en évidence la trace du pinceau comme dans les monotypes de Gérarddiaz ou la lithographie de Philippe Richard. Cette capacité d’enregistrement du geste pictural et sa soudaine multiplication offrent aux artistes peintres tout particulièrement une jubilation qui n’appartient qu’à l’estampe. Parfois c’est le dessin qui se libère presque à l’échelle du mur et la frontière entre le support et l’œuvre devient ténue, par exemple dans l’œuvre de Gilian Gelzer. D’autres au contraire font de ce gigantisme un écran, presque un mur qui contraint le spectateur au recul, comme Fabrice Gygi. Il arrive parfois que le gigantisme du modèle (la nature ou l’architecture) pousse l’artiste à morceler son épreuve pour la faire entrer dans les livres ou sous les machines et on voit ainsi l’œuvre se constituer d’un morcellement de pages qui ne recomposent le modèle que sur le mur ou sur la table (Philippe Martin, David Delesalle et Piranèse).
Au regard de la grande richesse plastique de ces épreuves géantes, on ne peut que constater la capacité des artistes à toujours remettre en question les contraintes de l’imprimeur qui, bien plus qu’un exécutant, devient alors un partenaire à la réalisation des images. Il s’agit pour l’artiste de déjouer les impossibles. Cette collaboration n’est pas toujours nécessaire et l’artiste aime à devenir lui aussi celui qui imprime (Grégoire Laisné, Georg Baselitz). Ils entretiennent alors une relation particulière avec ces grandes matrices, relation physique parfois intense qui induit un geste et un dessin à l’échelle. D’autres se jouent de notre culture du papier imprimé et nous proposent des images entre deux mondes. Mais Il s’agit souvent de se jouer du débordement et du redressement de celles-ci.
Frédérique Lucien va plus loin encore, faisant du matériau même de la multiplication (les plaques Offset servant à imprimer) un travail autonome, unique. Ce renversement du matériau reste basé sur une idée commune aux artistes qui voient dans la matrice de leur gravures parfois l’œuvre elle-même. C’est l’histoire de Gauguin et de ses bois.
En contrepoint les estampes lilliputiennes de Jean-Michel Vaillant nous prouveront que la monumentalité d’un travail ne tient pas, et heureusement, seulement à la taille des papiers. Ces minutieuses gravures au burin, parfois au sujet grivois nous obligent à placer notre regard autrement, comme finalement très souvent le collectionneur le place, plié en deux sur la table dans une confrontation intime avec l’œuvre, un plaisir presque solitaire.

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