lundi 6 octobre 2014

Mon écran s'écrit pierre

Je reçois ce matin de la part de Ianna Andréadis un catalogue qui fera sans doute date dans l'histoire de la lithographie en France.
Je vous explique.
Ce livre écrit par Franck Bordas s'intitule sobrement Un parcours imprimé. Chez nous, les lithographes, les artistes amoureux du multiple, ce nom résonne comme une mythologie solide, la preuve que nos moyens d'expression sont partagés par les artistes contemporains, que, en quelque sorte, nous vivons la lithographie solidement appuyés sur un héritage et sur une actualité.
Mais voilà...
Il se trouve que Franck Bordas après des années passées au service de cet art a décidé de faire faire à son atelier, qu'il nomme studio, le virage du numérique. Nous pourrions y voir une fin, un renoncement même et comme l'aveu que l'époque ne supporte plus que les écrans ne soient alimentés par autre chose que de l'électricité.
Pourtant, dans le ton, dans l'engagement incroyable face à l'édition, le moins que l'on puisse dire c'est que Franck Bordas n'abandonne rien ! Son histoire est ainsi faite d'une énergie toujours renouvelée qu'il puise dans une insatiable curiosité d'abord pour les artistes qu'il reçoit puis pour les questions qu'ils posent. C'est pour répondre aussi aux nouvelles exigences mais aussi en quête d'un nouveau terrain de jeu que Franck Bordas passe ainsi des matrices qui déposent aux machines qui crachent.
Pour ma part, excusez-moi, mais cela m'attriste tout de même un peu. Non pour lui qui n'a absolument pas besoin ni de mon avis ni de justification vu l'ampleur de son travail, mais pour quelque chose de secret, d'enfoui dans mon histoire personnelle et dans mon rapport à cet art. J'aimais, en quelque sorte savoir que chez Bordas, on usait encore les pierres.
Alors je ferai à mon tour de ma tristesse une énergie noire, de celle qui vous pousse encore une fois à croire que ce sur quoi vous projetez vos images est un écran : mon écran s'écrit pierre.
Dans le livre, on suit d'abord comme un listing ininterrompu les nombreuses collaborations de Franck Bordas et on en a le tournis tant la qualité des artistes, la quantité des publications, les désirs d'inventions sont à toutes les pages. Je me souviens de l'atelier mobile en Afrique qui m'avait à l'époque fait rêver. Puis vient une entrevue qui démontre une fois encore la place importante de l'imprimeur face à l'artiste, comment il faut à la fois être présent (rassurant...) et détaché pour que, toujours, ce soient les artistes qui décident et œuvrent. On trouve aussi de nombreuses photographies d'atelier, d'artistes au travail au milieu des presses et des pierres. C'est donc à la fois un ouvrage sur l'abandon et sur l'invention. C'est le tournant d'une histoire des arts imprimés en France. Souhaitons au Studio Bordas pour sa nouvelle ère numérique le même succès, la même ampleur que celle de l'ancien atelier. Il paraît que les pierres ont une mémoire. Le numérique aussi. Espérons que rien ne l'efface.
Merci Ianna pour cet envoi, comme quoi, les cartes postales, l'architecture croisent d'autres chemins.

On peut aussi se rendre à l'exposition De la pierre à l'écran, Studio Franck Bordas, Paris.
du 4 octobre au 11 janvier, du mardi au dimanche, de 10h à 18h.
Centre de la Gravure et de l'Image imprimée, La Louvière, Belgique.



Imprimerie Mourlot, Rue Barrault, 1977, photo de Franck Bordas :


Franck Bordas et Fernand Mourlot, photo Michelle Parra-Alédo :




Michael Woolwoorth, photo Michèle Parra-Alédo :


Cette presse est du même modèle que celle sur laquelle Philippe Martin réalisa de nombreuses épreuves à l'école des Beaux-Arts de Rouen. Presse qui va être sans doute détruite. Ici, presse à report, atelier Richebé, photo Ianna Andréadis :


Fernand Mourlot, Hervé di Rosa et Franck Bordas, tirage de Dirosland, 1985. Photo de Ianna Andréadis :


Une image qui me rappelle des souvenirs similaires ! Franck Bordas et Erika Greenberg, photo de Ianna Andréadis :


Pour Maximilien Vert, voici son ami Keith Haring en 1988. admirez le T-shirt ! Photo de Ianna Andréadis :







Suzanne Lafont, Situation Comedy, photo de Franck Bordas :


Lithographie de Pippo Lionni, photo de Franck Bordas :



2 commentaires:

Unknown a dit…

Cher David Liaudet, je voulais tout d’abord vous remercier pour votre lecture approfondie et vos mots à propos de mon "Parcours imprimé".
Vos ‘’impression’’ de lecteur attentif me touchent et même votre petite tristesse à propos de l’évolution de la pierre à l’écran.

Il s’agit d’un parcours personnel. Un cheminement guidé par la passion, qui m’a mené tout au long de cette route, avec pour règle de conduite de ne jamais prendre une piste déjà empruntée… La découverte d’une nouvelle technologie, au tournant des années 2000, d’abord comme chemin de traverse, puis comme nouveau terrain d’aventures, m’a finalement permis de continuer l’exploration !

La lithographie, que nous aimons, vous et moi, a encore de beaux jours devant elle ! Fraîcheur de l’encre, fraîcheur de nouvelles pratiques aussi.
Une nouvelle génération est déjà en train de la redécouvrir, avec un œil neuf et toute l’énergie nécessaire.

Après tout, dans le domaine de la musique, il n’y a peut-être jamais eu autant de luthiers ou de facteurs d’instruments anciens qui excellent à fabriquer un son alliant baroque et musique contemporaine. Voilà, à mon avis un exemple qui nous prouve que l’aventure continue.

Bien sincèrement, Franck Bordas

Liaudet David a dit…

Mr Bordas,
La bête à cornes dans mon atelier sera toujours heureuse, si le désir d'une interprétation sur instrument d'époque vous tente à nouveau, de faire chanter une pierre.
Votre parcours est un modèle. L'histoire de nos pratiques, celle que j'enseigne, que je défends sait ce qu'elle vous doit.
Bien à vous.
David Liaudet